Communiqué sur la commission mixte pour Haïti et le cas des réparations

Dans une déclaration récente, le Président français Emmanuel Macron a annoncé la création d’une commission conjointe chargée d’examiner les liens historiques entre la France et Haïti, en particulier la « double dette » que ce dernier a payée pendant des décennies à son ancien colonisateur. Composée d’historien·ne·s, cette commission serait chargée d’examiner le « passé commun » des deux pays, notamment l’impact du traité imposant une rançon par la France à Haïti, sous la menace, en 1825. Ce traité a précipité la première République noire issue d’une révolution d’esclaves victorieuse dans une spirale d’endettement durable, plongeant son avenir dans un effondrement socio-économique, une insécurité politique ainsi qu'une vulnérabilité face aux catastrophes environnementales. Cette même commission aurait également pour mission de formuler des recommandations aux deux gouvernements pour
« construire une relation plus pacifique ».


Ce recours aux commissions d’historiens est devenu la réponse systématique du Président Emmanuel Macron aux demandes de justice et de réparations en lien avec le passé esclavagiste et colonial de la France. Des commissions similaires ont ainsi été mises en place dans les contextes de l’Algérie et du Cameroun, avec pour but de documenter les injustices historiques, sans toutefois déboucher sur des réparations concrètes.


Dans le contexte d'Haïti, la création de cette commission est particulièrement inadaptée face à la situation tragique  que traverse actuellement Haïti. En effet, environ deux tiers de la population vit avec moins de 3,65 dollars US par jour, et près de 5,4 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, dont 6 000 déplacés internes menacés de famine. Près de 195 000 Haïtien·ne·s ont été déplacé·e·s à l’intérieur du pays à cause des violences depuis 2022. Par exemple,  la violence des gangs a causé la mort de plus de 5 600 personnes l’an dernier car ces groupes contrôlent aujourd’hui 85 % de Port-au-Prince.  


Si l’Etat haitien doit  assumer une part de responsabilité dans cette situation d’insécurité socio-politique, il est toutefois important  de prendre en compte les effets de l’extraction continue de ressources, de l’exploitation de la population et des déstabilisations politiques orchestrées par les puissances étrangères depuis plusieurs siècles.


De ce fait, la situation socio-politique d'Haïti n’est ni fortuite, ni uniquement le fruit d’événements récents. Elle est enracinée dans une longue histoire d’extraction et d’exploitation. Comme l’ont documenté de nombreux·ses historien·ne·s et journalistes, la rançon imposée par la France en 1825 sous la menace militaire a plongé le pays dans un siècle de dette et de sous-développement. Cette « double dette » a non seulement vidé le pays de ses ressources, mais a aussi creusé des inégalités socio- économiques persistantes. Des intellectuels haïtiens comme Fritz Deshommes, président du Comité national haïtien pour la restitution et les réparations (CNHRR), estiment que cette dette équivaudrait aujourd’hui entre 38 et 135 milliards de dollars US, en tenant compte des pertes de revenus et du retard économique. Des journalistes et activistes haïtiens comme Monique Clesca, du Kolektif Ayisyen Afwodesandan, ont montré comment cette dette monstrueuse a étouffé le développement du pays et symboliquement enchaîné Haïti à son ancien colonisateur.


En conséquence, la mise en place d’une telle commission, qui viendrait simplement réitérer des faits historiques déjà bien établis, sans engagement concret en faveur de réparations tangibles, efficaces et justes, est à la fois profondément insuffisante et déconnectée des besoins urgents du peuple haïtien.


En tant qu’organisation non gouvernementale engagée contre les injustices raciales historiques et contemporaines, African Futures Lab s'oppose fermement à ce recours de commissions historiques, qui n’est qu’un processus potentiellement vain. Dans le meilleur des cas, elle risque de déboucher sur des excuses symboliques et des promesses vagues de développement socio-politiques dictées par la France. Dans le pire des cas, elle détourne délibérément l’attention de la nécessité de réparations concrètes et significatives. Ce processus n’est pas un pas en avant, c’est une tentative calculée d’éviter toute responsabilité.


En l’état actuel, nous considérons qu’il s’agit d’un acte symbolique dépourvue de substance. Une commission au lieu de réparations. Des excuses  sans responsabilité.


Nos recommandations:

  • Au minimum, la restitution immédiate de la rançon, qui a été estimée à 525 millions de dollars US indûment versée par Haïti à la France, en reconnaissance de l’impact profond de cette dette sur le développement du pays.
  • Une restitution progressive des 135 milliards de dollars US, comme réclamé par le Comité national haïtien pour la restitution et les réparations (CNHRR).
  • Une demande par la France adressée aux institutions financières multilatérales d’annuler la dette haïtienne qui leur est due, notamment au  Fonds monétaire international et  à la Banque mondiale.Un processus de réparations transparent et inclusif, impliquant la société civile et le gouvernement haïtiens, répondant réellement aux revendications exprimées par la nation depuis plus de 70 ans. Ce processus doit être initié et dirigé par les Haïtien·ne·s et mené selon les termes d’Haïti, non de la France.
  • Ce processus de réparations devrait en particulier tenir compte de l’urgence climatique à laquelle doit faire face Haïti, des nécessités exprimées par le peuple haitien de s’adapter à la crise climatique et de ses droits fonciers. Une considération des processus d’extraction historiques et de la vulnérabilité climatique actuelle est ainsi nécessaire dans l’examen des mesures de réparations. voir le rapport Bay Kou Bliye, Pote Mak Sonje, NYU/UCLA, 2024).
  • Un soutien financier immédiat pour répondre aux crises actuelles d’Haïti, y compris la violence des gangs, l’instabilité politique et l’insécurité alimentaire aiguë, avec un appui à la reconstruction et au renforcement des institutions haïtiennes pour leur permettre de répondre efficacement.


En résumé, nous appelons le gouvernement français à assumer pleinement ses responsabilités en restituant ce qu’il a spolié à Haïti, à se conformer aux demandes et processus de justice et de réparations initiés depuis des décennies par le peuple haitien.