Réparer et guérir les blessures raciales: la Déclaration d’Accra

Pour marquer la Journée internationale des personnes d'ascendance africaine, une coalition globale de militants, chercheurs, diplomates et d'artistes ainsi que d'organisations de la société civile (dont AfaLab) a publié aujourd'hui la "Déclaration d'Accra: Réparer et guérir les blessures raciales, un document pionnier qui trace une nouvelle voie pour le mouvement des réparations.

La présente déclaration a été adoptée à la suite du Sommet “Promouvoir la justice: réparer et guérir les blessures raciales » organisé à Accra (Ghana) en 2022.

Du 1er au 4 août 2022, des activistes, artistes et universitaires noir. e. s venant d’Afrique, des Caraïbes, d’Amérique du Nord, Centrale et du Sud ainsi que d’Europe se sont réunis pour discuter d’un programme global pour réparer et guérir les blessures raciales.

Reconnaissant l’importance de réparer et de guérir les blessures raciales comme un impératif global, cette initiative inscrit son action dans la lignée des mouvements sociaux qui ont permis l’adoption de la Déclaration d’Abuja de 1993 ainsi que la Déclaration et le Programme d’action de Durban de 2001.

Dans le cadre de ce mouvement, nous condamnons aussi bien les formes passées de colonialisme, d’apartheid et d’esclavage que leurs manifestations contemporaines telles que les pratiques de xénophobie et d’exploitation des êtres humains. Nous condamnons également l’utilisation pure et simple de la violence et de la terreur dans le but d’exploiter et de faire progresser les systèmes de pillage des ressources. De fait, les systèmes économiques contemporains ont évolué de manière à naturaliser la pauvreté et les inégalités, en les présentant comme résultant des déficiences d’individus plutôt que comme conséquence de pratiques structurelles de privation et d’exploitation des ressources.

Nous considérons que réparer et guérir les blessures raciales est une entreprise transnationale et multigénérationnelle. Une transformation intégrale des systèmes, structures et institutions à l’origine des violences contre les populations africaines et les afro-descendants du monde entier nécessite l’engagement actif des acteurs de terrain, de la société civile, du secteur privé, des décideurs politiques et des dirigeants à tous les niveaux.

Dans son discours d’ouverture du Sommet d’Accra, le président du Ghana, S. E. Nana Akufo-Addo, a souligné la nécessité pour l’Union africaine de faire des réparations une question prioritaire et d’appeler d’autres chefs d’État africains à s’engager aux côtés des populations africaines et d’ascendance africaine dans cette entreprise.

Avant tout, il nous semble primordial de réaffirmer l’idée centrale de la Déclaration et du Programme d’action de Durban: les violences massives perpétrées par divers gouvernements, institutions, sociétés et familles d’Europe constituent des crimes contre l’humanité des peuples africains. La traite transatlantique des esclaves, le colonialisme, l’apartheid et le néocolonialisme ainsi que les systèmes, structures et institutions mis en place pour perpétuer ces violences ont laissé des traces terriblement préjudiciables sur tous les aspects de la vie des personnes d’ascendance africaine dans le monde entier. Ces lourdes conséquences entravent encore fortement leur capacité pleine et entière à l’autodétermination et à disposer de leurs droits en tant qu’être humains. En conséquence, nous considérons que les auteurs de ces crimes ont une obligation morale et juridique de s’engager dans des réparations intégrales partout où les crimes ont été commis et où leurs conséquences persistent.

1. Nous prenons acte du message de solidarité exprimé par le Président Nana Akufo- Addo avec le Mouvement pour les réparations. Il est essentiel que le Président Akufo-Addo sollicite l’engagement des gouvernements et des chefs d’Etat dans ce processus. La volonté et l’engagement politique sont centrales dans la mise en œuvre de cette déclaration. L’implication active des gouvernements et décideurs politiques sera d’un grand secours pour entamer un processus d’apaisement des tensions entre la société civile et les gouvernements partenaires.

2. Nous appelons les Etats africains et leurs dirigeants à adopter une position claire, en accord avec et guidée les peuples africains et la société civile, pour respecter la mise en œuvre des demandes de réparation adressées aux nations, institutions, gouvernements et aux familles responsables des crimes d’esclavage, de colonialisme, d’apartheid et de génocide. En ce sens, une action coordonnée est d’autant plus nécessaire que les agressions directes contre les corps et l’esprit des peuples noirs ont créé des blessures profondes qui sont restées longtemps ignorées et auxquelles aucune justice n’a été rendue. A cela s’en est suivi des abus plus systématiques permis et légitimés par les institutions autrices de ces crimes et qui continuent de bénéficier matériellement de leur barbarie par le pillage des richesses, des ressources naturelles et culturelles de l’Afrique.

3. Nous appelons à l’adoption d’une définition claire et exhaustive des réparations, et à l’élaboration de critères pour les initiatives de justice réparatrice, en se basant sur la Déclaration et le Programme d’action de Durban. A cet égard, un objectif important est de distinguer les réparations des politiques publiques classiques visant l’équité et l’inclusivité. Il est également nécessaire de se distancier d’une vision étroite des réparations qui tendraient à accorder des réparations uniquement aux descendants d’esclaves.

4. L’Afrique, par le biais de l’Assemblée des chefs d’État de l’Union africaine, a adopté une politique continentale sur la justice transitionnelle afin de traiter différents types d’injustices sur le continent et de réparer les dommages causés aux victimes de violations des droits de l’homme. Cette politique dejustice transitionnelle peut servir de modèle pour poursuivre une politique de réparations pour les crimes historiques.

5. Nous demandons aux Africains du monde entier de contribuer au développement d’économies prospères mais basées sur des valeurs africaines d’humanisme et fondées sur des principes de droits économiques inclusifs, en tenant compte de l’appel du Dr. Martin Luther King de développer une Charte pour les droits socio-économiques. Ceci permettra de construire des systèmes de connaissance autonomes et centrés sur l’Afrique. A cet égard, nous considérons que les réparations représentent une étape nécessaire et critique qui nous permettra d’établir ces systèmes tout en s’assurant qu’ils ne reproduisent pas les violences contre les populations Noires ou tout autre groupe de personnes.

6. Nous nous engageons à soutenir les efforts existants pour la restitution du patrimoine culturel, des artefacts, des monuments, des restes humains liés à notre mémoire en tant que peuple africain.

7. Nous appelons les mouvements sociaux tels que le Mouvement international panafricain, la Commission des Réparations de la CARICOM, le National African American Réparations Commission ( NAARC), le Transitional Justice Legacy Fund à soutenir activement la consolidation et l’expansion du mouvement global pour les réparations. Ce soutien peut se réaliser sous forme de sensibilisation, mobilisation ou développement d’actions constructives.

8. Afin de promouvoir un processus de vérité, de responsabilité et de justice, et conformément à l’appel de CARICOM, nous demandons au Forum permanent des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine d’appeler à un sommet international réunissant les anciennes puissances coloniales, les institutions financières, les entreprises et autres institutions acteurs et bénéficiaires du système d’esclavage et de la colonisation.

9. Les institutions religieuses doivent faire l’objet d’une attention particulière. Il faut considérer le Vatican (Église catholique romaine) - en raison de son rôle spécifique dans l’approbation du commencement de la traite transatlantique des esclaves par le biais des bulles papales mais également toutes les institutions chrétiennes occidentales qui ont approuvé et bénéficié de la traite transatlantique et de la division du continent africain. Les crimes contre les peuples africains méritent d’être reconnus, de faire l’objet d’excuses et d’obtenir une réparation équivalente.

10. Nous demandons aux Nations Unies de prolonger de 10 ans la Décennie des Nations Unies pour les personnes d’ascendance africaine.

11. Nous nous engagerons dans un dialogue et une discussion sur le terme « Global African » ( « les Africains dans le monde ») en tant qu’identité inclusive des Noirs du monde entier. Il est évident que partout dans le monde, il existe une lignée directe avec l’Afrique. Nous sommes tous des Africains, où que nous ayons atterri et où que nous résidions.

12. Il est urgent de créer des systèmes de connaissances indépendants et autosuffisants et de plates-formes de communication et de médias noirs pour diffuser les connaissances et renforcer les mouvements africains internationaux.

13. En tant que membres du Mouvement global pour les réparations, nous établirons et faciliterons un colloque international sur le rôle des Africains dans la traite transatlantique des esclaves et le colonialisme. Il importe en effet d’examiner les données historiques sur les circonstances, les contextes géopolitiques et les rôles respectifs des Européens et des Africains. Nous devons recommander un processus de reconnaissance et de guérison des blessures raciales.

14. Nous, en tant que membres du  Mouvement global des réparations, considérons qu’il doit y avoir un sommet sur les commissions de réparations et les commissions en formation pour consolider et étendre le Mouvement global des réparations émanant des Africains du monde entier.

La justice nécessite un examen transparent et exhaustif des préjudices passés et actuels subis par les peuples africains du monde entier du fait des crimes de l’esclavage, du colonialisme, du néocolonialisme et de leurs conséquences. Pour construire un monde fondé sur la justice et dans lequel les droits humains de tous les peuples sont protégés, il faut réparer et guérir les violences raciales.