Le 23 juillet 2025, la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction au monde, a rendu un avis consultatif sur les obligations juridiques des États au regard de la gestion de la crise climatique. La Cour en effet confirmé ce qu'un certain nombre d'acteurs du sud global défendent depuis longtemps : rester inactif face à la crise climatique - en ne prévenant pas les dommages, en ne coopérant pas au niveau international ou en ne protégeant pas les droits humains - constitue une violation des obligations des États en droit international et de telles violations impliquent des réparations climatiques.
Cet avis, très attendu, marque un tournant majeur dans la gouvernance mondiale du climat, en particulier pour l'Afrique, confrontée de manière disproportionnée aux effets de la crise climatique. Les communautés et les États africains subissent en effet de plein fouet cette crise à travers des phénomènes accrus de désertification, des vagues de chaleur, des inondations, les sécheresses et la destruction de la biodiversité (external link). Sur le plan humain et économique, les pertes dues aux événements climatiques extrêmes sont colossales, allant jusqu'à 5 % du PIB annuel dans certains pays, tandis que les besoins en financement pour y faire face sont estimés entre 187 et 359 milliards de dollars par an (external link). Par exemple, le cyclone Freddy (external link) en 2023, a ravagé le Mozambique, le Malawi et Madagascar, faisant plus de 870 morts, déplaçant plus d'un million de personnes et détruisant ou endommageant des centaines de milliers d'habitations, de terres agricoles et d'infrastructures.
Comme l'indique le rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) de 2022, cette vulnérabilité n'est pas un accident de l'histoire mais le résultat de plusieurs siècles d'extraction coloniale de ressources et d'exploitation destructives d'écosystèmes africains par les États et les entreprises du Nord. Les États du Nord ont jusqu'à présent opposé une fin de non-recevoir aux demandes de réparation.
Pour l'Afrique, l'opinion de la CIJ change la nature du débat. Adopté à l'unanimité par les 15 juges, il est sans ambiguïtés sur les obligations des États pollueurs. Ils ont des obligations claires et juridiquement contraignantes en vertu du droit international de prévenir les dommages importants résultant des émissions de gaz à effet de serre. La Cour reconnait également de façon explicite la responsabilité historique des États du Nord en réaffirmant que les États développés qui ont des émissions cumulées élevées ont des obligations plus strictes. Cette reconnaissance est capitale pour les États africains (external link) qui ont toujours demandé que l'équité et la différenciation des responsabilités soient prises en compte dans la gouvernance mondiale du climat.
Par ailleurs, la Cour va plus loin indiquant que les États qui ne prennent pas les mesures nécessaires pour protéger le système climatique des émissions de gaz à effet de serre - y compris en autorisant l'exploration, en subventionnant la production ou en consommant des énergies fossiles - peut être reconnu responsable d'un fait internationalement illicite.
Dans les pays, notamment en Afrique où les entreprises multinationales extraient des ressources, cette opinion enjoint ainsi les États à adopter une réglementation plus stricte et à une éventuelle mise en cause de leur responsabilité.
Pour l'Afrique, ainsi que pour de nombreux États du sud, cette opinion ouvre la voie à des réparations climatiques, bousculant ainsi le modèle de la gouvernance climatique mondiale qui était jusqu'à présent fondé sur des politiques d'aide sous forme de prêts, d'accès aux fonds d'adaptation ou encore d'autres solutions contestables tels que les marchés carbones, « offsets », REDD+, etc. La Cour internationale de justice pose de façon non équivoque que les États en subissent les conséquences de la crise climatique ont un droit à réparation. Elle ajoute que si les États ne parviennent pas à prévenir un préjudice ou à remplir leurs obligations, ils peuvent être tenus de fournir des réparations - sous forme d'indemnisation, de restitution - comme la restauration d'un écosystème ou la réparation d'infrastructures endommagées - ou de garanties de non-répétition, à évaluer au cas par cas.
Toutefois si cette opinion clarifie le droit et donne l'impulsion nécessaire pour les réparations climatiques, il appartient aux États africains de saisir ce moment pour exiger un changement structurel et une justice réparatrice. Dans un contexte global où les engagements en faveur de l'aide publique internationale s'effondrent, l'avis de la Cour offre ainsi une opportunité juridique et politique pour repenser les termes de la gouvernance mondiale du climat. Et l'Afrique doit agir.
Deux initiatives en cours au niveau du continent africain résonnent avec cette opinion et peuvent être de puissants leviers. D'une part, il y a la déclaration la décennie pour les réparations des injustices coloniales adoptée par l'Union Africaine durant laquelle les enjeux sur le climat peuvent être une composante centrale. D'autre part, il y a la pétition (external link) adressée à la Cour Africaine des droits de l'Homme et des Peuples, qui pourrait être un instrument permettant la régulation des activités néfastes des entreprises transnationales sur le continent.
L'Afrique doit maintenant s'en saisir pour refonder la gouvernance mondiale du climat.